mardi 5 janvier 2010

La théorie des nuages de Stéphane Audeguy

Cette étrange histoire débute quand Virginie Latour, bibliothécaire, est convoquée par un grand couturier japonais, Akira Kumo, afin de classer sa bibliothèque personnelle, mais c'est sans compter sur la faconde du couturier, qui lui raconte la vie de grands scientifiques, passionnés par les nuages et fondateurs de la météorologie: Luke Howard puis Richard Abercrombie; mais, " de fil en nuages", les recherches de ce dernier se détournent de leur objet premier pour découvrir l'analogie entre la forme des nuages et le vagin des femmes, l'amenant à conclure son protocole sur l'infini des lignes formant le contour des objets naturels.
Curieuse démonstration, jubilation de la narration favorisant la résurgence de souvenirs enfouis et douloureux, charge contre une forme de civilisation dont les progrès sont paradoxalement liés à des catastrophes dont Hiroshima.
Une grande précision dans l'écriture, minutieuse, mordante et ample.

samedi 7 novembre 2009

Trois femmes puissantes de Marie N'Diaye

Trois récit successifs: deux racontés par des femmes et un par un homme, à un tournant de leur histoire. Alors que leur vie semble leur échapper pour glisser vers une sorte de cauchemar nébuleux, ils parviennent enfin, au prix d'un grand courage, à lever le voile du mensonge, à voir en face la vérité qu'ils n'osaient s'avouer, et reprennent ainsi le contrôle de leur destin.
Ces récits d'une libération dans un univers féroce et implacable, entre France et Afrique, frôlant l'étrange, sont rédigés dans une écriture très riche, recherchée sans être affectée. Ce roman a été couronné par le prix Goncourt 2009, bien mérité !

vendredi 6 novembre 2009

Des hommes de Laurent Mauvignier

Lors d'une fête organisée par Solange pour sa retraite, dans une petite ville de province, Bernard, son frère, ivrogne sans le sou, vient troubler la soirée en offrant à sa sœur une broche luxueuse. Le scandale éclate quand il insulte un convive arabe; exclu de la fête, incompris, il se réfugie dans un troquet avant de commettre un acte odieux vis-à-vis de la famille de celui qu'il a insulté. Son cousin qui a observé la scène et la raconte , est le seul à pouvoir le comprendre (sans l'excuser) au regard du passé, jamais évoqué, qui ramène le lecteur sur l'épisode tragique de la guerre d'Algérie.
Bernard est tout jeune quand il est appelé pour plus de 24 mois en Algérie. Il passe son temps dans une caserne sans rien faire d'autre que de tenter de débusquer les "fellagas" qui les narguent cruellement: intimidations de part et d'autre avec leur lot de violence et de barbarie. Il ne comprend ni l'enjeu, ni l'idéal de cette sale guerre qui fait d'eux des bourreaux, à ll'égard de victimes faibles et sans défense. Jusqu'au jour fatal, où, rentrant à la caserne après quelques jours de permission, il assiste à un spectacle terrifiant dont il se sent en partie responsable. Il rejoint alors la faction la plus dure de l'armée et rentre en France, détruit, broyé.
Un récit très dur et très juste sur l'horreur d'une guerre qui musèle les bouches et livre les hommes aux démons de l'angoisse, de l'insomnie et de l'alcool. Une écriture impulsive et sensible au rythme torturé de la violence racontée.

Le Cercle littéraire des amateurs d'épluchures de patates de Mary Ann Shaffer et Annie Barrows

Roman épistolaire écrit par une ancienne bibliothécaire anglaise, méconnue, mais que le bouche à oreilles a très vite conduit au succès et j'y participe ! J'ai passé un très bon moment en compagnie de tous ces personnages, drôles et sensibles, qui correspondent avec Juliet, un écrivain à succès, en mal d'inspiration, jusqu'à ce qu'elle correspondent avec les membres d'un cercle littéraire de Guernesey, au nom pour le moins farfelu: "le cercle littéraire d'amateurs d'épluchures de patates".
Leur correspondance révèle le passé méconnu des habitants de cette petite île au large de l'Angleterre, pendant la seconde guerre mondiale: l'île est occupée par les allemands, les enfants envoyés en Angleterre pour échapper à l'ennemi, le dévouement d'Elisabeth, figure centrale et absente du roman, lui réserve un destin funeste... Juliet se passionne pour leur histoire et décide de les rencontrer en se rendant sur l'île où elle est accueillie et fêtée par des hommes et des femmes très chaleureux.
De la gravité, beaucoup d'humour dans ce roman que l'on ne lâche pas !

vendredi 28 août 2009

L'amant de Lady Chatterley de D.H Lawrence

Dans l'Angleterre industrielle du début du siècle, le couple Chatterley s'installe au domaine de Wragby, côtoyant les mines à charbon de Tavershall, dans les Midlands. Clifford Chatterley est revenu de la première guerre mondiale gravement accidenté; il est hémiplégique et impuissant. Constance, sa femme, lui prodigue tous les soins nécessaires et se comporte en épouse modèle jusqu'à ce qu'elle tombe malade à force d'ennui et de désirs non satisfaits. Son mari engage alors, à la demande de sa belle-famille, une domestique, Mrs Bolton, pour décharger Constance de son rôle d'infirmière. Cette dernière passe le plus clair de son temps dans le bois où elle rencontre Mellors, le garde-chasse du domaine, un homme du peuple, un peu rustre mais non moins fier, dont le corps robuste éveillera ses sens endormis. Une passion brûlante les dévore, qui prendra la forme d'un amour profond et indéfectible malgré les obstacles liés à leur classe et à leur situation maritale.
L'intrigue amoureuse se double d'un débat idéologique entre la défense d'une aristocratie privilégiée et ambitieuse, et la cause d'un peuple asservi et avili par le travail à la mine, qui ruine en lui toute dignité et toute beauté, défendue par Mellors et Constance.
Un roman riche, nourri de références bibliques, qui ravit les sens et l'esprit, grâce à une très belle écriture: à la fois poétique et délibérément crue par moments. Le livre coup de coeur de cet été !!!

lundi 17 août 2009

Le canapé rouge de Michèle Lesbre

Dans le transsibérien qui l'amène à Irkoutsk, sur les traces de son ancien amant dont elle n'a plus de nouvelles, Anna, la narratrice, se remémore les débuts de son amitié avec sa voisine Clémence, une vieille dame à qui elle fait des lectures. Dans le train, elle croise Igor, qui aimante ses pensées papillonnantes. A l'arrivée, près du lac Baïkal, elle comprend que l'homme qu'elle cherche a commencé une nouvelle vie avec une autre femme. Ce voyage intérieur la conduit à se détacher de ses amours passées; ainsi, elle se rend plus disponible pour une nouvelle rencontre qui ne tardera pas à se produire à son retour, alors qu'elle lira un dernier poème près de la Seine, où Clémence, au seuil de la mort, s'est jetée pour retrouver Paul, son amour de jeunesse.
Ce court récit m'a beaucoup plu. Porté par une belle écriture, les fragments de la mémoire d'Anna forment un puzzle cohérent qui parle de son désir et de son bonheur de vivre. Un livre profond et lumineux.

mardi 21 juillet 2009

D'autres vies que la mienne d' Emmanuel Carrère


D'autres vies que la mienne est un de ces romans dont on peut dire, en refermant la livre, qu'il a transformé notre regard sur le handicap, la maladie, l'approche de la mort et la justice.
Certes, on y laisse des larmes, beaucoup de larmes mais on y trouve aussi ce formidable espoir dans l'amour qui nous fait avancer.
Le livre commence par le récit de deux tragédies mises en perspective: la mort d'une fillette de quatre ans au Sri Lanka, emportée par le Tsunami et celle d'une jeune mère de trente-six ans, Juliette, touchée par un cancer. Puis l'auteur raconte l'amitié d'Etienne et de Juliette, tous deux juges d'instance à Vienne dans l'Isère, spécialisés dans les affaires de surendettement, qui se sont battus pour défendre les victimes des sociétés de crédit et qui, en la matière ont apporté leur pierre à l'édifice en bousculant les règles établies.
L'auteur recueille les témoignages des proches de la victime pour raconter "d'autres vies que la [sienne]" sans s'effacer complètement. Son récit est émaillé de réflexions personnelles, de parallèles avec sa propre vie de couple, renforcée par les drames auxquels ils sont confrontés et qui offre ainsi une résonance positive au malheur familier des autres.
Avec une sincérité touchante et une bienveillante générosité à l'égard des protagonistes, Emmanuel Carrère nous parle du cancer comme d'une maladie qu'on apprend à accepter puisqu'elle fait partie de nous et avec laquelle on se prépare à mourir. Il nous parle de l'amour comme d'une force qui sublime l'homme face à l'approche de lamort.
Empreint d'une gravité sans pathos, ce livre nous parle de la maladie, de la mort, de l'injustice qui constituent la trame ordinaire et non moins lumineuse de la vie.

Parenthèse...

Les chroniques des derniers livres que j'ai lus demeurent entre parenthèses...

Les Bienveillantes de Jonathan Littell
Les cerfs-volants de Kaboul de Khaled Hosseimi
Un Don de Toni Morrison
Raison et sentiment de Jane Austen
L'Etreinte fugitive de Daniel Mendelsohn

Mais je reprends le flambeau, grâce aux encouragements de mes amis et à l'émulation procurée par certaines lectures...

samedi 11 avril 2009

La chaussure sur le toit de Vincent Delacroix

Ces dix récits, imbriqués les uns dans les autres, à partir d'une chaussure abandonnée sur un toit parisien sont autant de variations sur l'amour et la solitude que Vincent Delacroix nous livre avec beaucoup d'humour et de fantaisie.
On y croise un enfant rêveur, un chien mélancolique, des cambrioleurs loufoques, un amant vengeur, un amoureux transi, un immigrant clandestin, une vieille dame excentrique, un ermite philosophe et bien d'autres encore...

Le sixième jour d'Andrée Chedid

Le choléra ravage la province du Caire et si l'épidémie touche à sa fin, elle frappe encore le petit Hassam que sa grand mère va tenter par tous les moyens de garder en vie, malgré les risques de propagation, le poids des ans qui pèse sur ses épaules, les dénonciations des voisins... Une course contre la mort commence, à travers la ville grouillante de misère, pour amener l'enfant jusqu'à la mer, car il est dit qu'au sixième jour, le malade meurt ou bien ressuscite...
Dans ce récit tragique, Andrée Chedid dévoile la vie miséreuse des déshérités, les ravages de l'épidémie dont certains tirent profit,, distille la sagesse des anciens, les proverbes arabes qui nous plongent au coeur de cette Egypte contemporaine, dévêtue de ses joyaux antiques.
Comme dans Le Message que j'ai lu précédemment, l'amour transcende l'injuste cruauté de la mort pour atteindre une dimension sacrée.
Deux récits bouleversants dont la puissance poétique est propre à nous toucher profondément.

jeudi 19 février 2009

La Pension Eva d'Andrea Camilleri

Dès son plus jeune âge, Nene se pique de curiosité pour ce qui se trame dans la Pension Eva... Mais comment expliquer à un gamin de huit ans, ce qu'est un bordel ? C'est Angelica, une voisine un peu plus âgée, qui lui donnera quelques clés pour comprendre la naissance du désir et les prémices de l'acte sexuel. En grandissant, la porte de la pension lui sera ouverte, grâce à un ami, et, les premiers émois passés, il fréquentera les prostituées pour lesquelles il éprouve une grande tendresse, tout en poursuivant des études prometteuses. Vigàta, en Sicile, est aussi le théâtre de la seconde guerre mondiale. Les bombes des Alliés meurtrissent la région, tandis que les jeunes siciliens découvrent l'amour et la tendresse au côté de ces femmes, dignes et coquines.
On retrouve la fantaisie et l'humour chers à l'auteur, teintés d'anti-cléricalisme et d'anti-guerre, dans un récit tendre et léger, à savourer en tout simplicité.

L'enchanteresse de Florence de Salman Rushdie

Le dernier roman se Salman Rushdie, édité chez Plon, est un très beau livre; la couverture magnifique recelle un récit fabuleux.
Un jeune homme italien à la chevelure d'or, magicien et conteur hors-pair se rend à la cour de l'empereur moghol, Akbar, descendant de Gengis Khan, pour lui confier un secret. Doté d'un grand pouvoir de séduction, habile manipulateur, cet aventurier parcourt terre et mer, brave tous les dangers pour atteindre Sikri, en Inde, capitale du moment de l'empire moghol. Son secret, jalousement gardé, c'est une histoire, son histoire, qui prend naissance au coeur même de l'empire moghol puisqu'il affirme avec un applomb incroyable, être l'oncle d'Akbar et se poursuit à Florence, capitale du libertinage, aux mains des Medicis, chassés puis réhabilités... Il déroule son récit sur toute la durée de son séjour en Inde, au milieu d'intrigues et de complots qui animent la cour de l'empereur.
Epopée formidable et récit foisonnant qui nous emmène d'Orient en Occident, du temps des Grandes Découvertes, et mêle fiction et réalité, magie et Histoire, réflexions métaphysiques et propos scabreux. Le ton est drôle, parfois grave et revèle tout le plaisir du conteur à manipuler le lecteur avec des références historiques contredites par l'histoire fabuleuse de celui qui se fait appeler "Mogor dell'Amore" et prétend être le petit-fils de l'empereur Babur.
J'ai a-do-ré !!!

vendredi 30 janvier 2009

Valse avec Bachir d'Ari Folman et David Polonski

La BD, tirée du film fabuleux d'Ari Folman, vient de sortir et je me suis empressée de l'acheter. Impossible de reconstituer complètement l'atmosphère du film, la violence des premières et dernières images, la musique qui joue un très grand rôle, le rythme palpitant, les passages décalés des rêves et cette merveilleuse "valse" d'un soldat israélien sous le portrait de Bachir.
Cela n'enlève rien cependant à la valeur documentaire du récit ni à l'esthétique des images tirées des dessins préparatoires du film.
Bouleversante histoire de l'auteur, Folman, qui part à la recherche de son passé, enfoui sous les décombres de la guerre, celle d'Israël contre le Liban en 1982, et des massacres de Sabra et Chatila, perpétrés par les Phalangistes (milices chrétiennes libanaises) venus venger la mort de leur leader, Bachir Gemayel, tout juste élu président, sous le regard passif de Tsahal, parfaitement informée. Formidable travail sur la mémoire, plaidoyer contre la guerre, choc des images : dessins contre photos réelles, bravo !!!

Le Dieu des Petits Riens d'Arundhati Roy

Dans la ville d'Ayemenem, au Kérala, en Inde, une famille de propriétaires et commerçants (caste élevée), tombe en disgrâce et se disloque à cause d'un amour interdit entre une bourgeoise chrétienne et un Intouchable. Le drame, annoncé au début du roman, ne sera totalement éclairci qu'à la fin, maintenant le lecteur en haleine.
L'ordre chronologique est bouleversé et donne à connaître des bribes de vie des enfants de la famille dont la vie a basculé suite à cette tragédie.
L'écriture drôle et poétique pimente ce roman pittoresque que j'ai trouvé un peu long et ennuyeux parfois...
Ce roman a reçu le prestigieux Prix Booker Price en 1997.

Chroniques de l'oiseau à ressort de Haruki Murakami

Roman déconcertant et captivant qui entraîne le lecteur au delà de la frontière du réel pour explorer le dédale des rêves...
Le narrateur, un homme de trente ans, marié depuis six ans à sa femme Kumiko, mène une vie paisible dans la banlieue d'une grande ville japonaise. Ayant choisi de démissionner sans raison apparente, il consacre son temps libre à s'occuper de la maison, à la logistique du quotidien, à lire et à rêver. Cette nouvelle liberté le rend disponible à la rencontre dont l'initiative revient aux femmes qui le sollicitent de manière impromptue. Il explore la ruelle sans issue qui jouxte sa maison, passe du temps avec sa jeune voisine de 17 ans, à échanger sur des sujets métaphysiques.
Et puis un soir, sa femme ne rentre pas du travail. Le lendemain et les jours suivants non plus. C'est à ce moment que le récit commence à être vraiment captivant. Le frère de sa femme, un homme qu'il a toujours détesté, parle en son nom et exige le divorce, appuyé par sa famille. Mais le narrateur ne se fie pas aux propos malveillants et plein de morgue de celui-ci et comprend petit à petit que sa femme réclame de l'aide tout en le maintenant à distance. Il cherche alors dans leur passé commun, la faille, la fêlure qui a provoqué son départ. Des gens étranges lui racontent leur histoire qu'il écoute avec attention et dans lesquelles il trouve quelques clés pour mieux se connaître. Certains récits traitent de la guerre en Mandchourie au milieu du XXième siècle, que les Japonais souhaitaient conquérir, combattus férocemment par les Soviétiques, alliés aux Mongols.
D'étrange, le roman bascule dans le fantastique avec de nombreux récits qui se croisent; ainsi que les personnages au pouvoir surnaturel, sur un rythme qui tient en haleine le lecteur, en attente de savoir si le narrateur retrouvera sa femme, dans le labyrinthe de ses rêves...

jeudi 6 novembre 2008

Devoirs de vacances

L'impatience que certains manifestent vis-à-vis de la parution un peu lente de mes chroniques, donne tout son sens à mon travail et me touche beaucoup. Mais j'en appelle à leur clémence, car, moi aussi, j'ai des devoirs de vacances... à savoir: les romans que je donne à lire à mes élèves et que je dois par conséquent lire aussi. Cela me prend pas mal de temps et je n'ai pas jugé bon de les partager avec vous pour réserver cette page à mes lectures-loisirs...
J'en profite en passant pour inviter tous ceux qui ont partagé les mêmes lectures que moi, à laisser un petit commentaire pour me donner leur avis. Cela me fera très plaisir et donnera sa pleine utilité à ce blog !

Le Roi Zozimo d'Andrea Camilleri


La réputation de Camilleri n'est plus à faire, j'apporterai pourtant une pierre à l'édifice. Et n'allez surtout pas croire que les auteurs italiens me font tous tourner la tête !
Ce roman cocasse, fantastique et un peu paillard, traite de l'ascension d'un paysan sicilien, sage et juste, à la gouvernance de Girgenti (l'actuelle Agrigente), rétive à toute domination extérieure. L'action se situe au XVIIIième siècle, tandis que la Sicile est sous domination espagnole. Le peuple crie famine pendant les longues périodes de sécheresse; l'église, omnipotente, est sourde à la misère..Les étrangers qui gouvernent ne s'impliquent pas dans la gestion du pays. Ils soudoient les nobles, cramponnés à leurs privilèges et écrasent le peuple.
Dans ce contexte difficile, naît un enfant aux facultés peu communes: il parle à la naissance , se nourrit de bonne viande et boit du vin au bout de quelques semaines. Il est élevé dans une famille aimante, honnête et travailleuse. Cet enfant précoce deviendra un sage respecté et adulé par les villageois exaspérés par les injustices continuelles qu'ils subissent.
Ce récit, à la fois drôle, tendre et satirique, est porté par une langue étonnante qui mêle le sicilien et l'espagnol et que le traducteur s'est attaché à reproduire en puisant dans l'ancien français et le français régional de Lyon.
Déconcertée au départ par tant de mots inconnus, je suis rapidement tombée sous le charme de cette verve rabelaisienne. Le plaisir procuré par cette langue si expressive, ajouté à la tonalité ironique et au propos cinglant les privilèges de la noblesse, l'avidité de pouvoir de l'église dans un discours social teinté d'humour et de cocasserie, a remporté ma totale adhésion. Il ne me reste plus qu'à lire la quarantaine de romans de cet auteur prolixe !

American Darling de Russel Banks


Hannah Musgrave est une jeune activiste du groupe des Weathermen qui dans les années 70 aux Etats-Unis lutte contre la guerre, milite pour les droits civiques des noirs et commet des actes de désobéissance civique. Recherchée par le F.B.I et se croyant obligée de fuir, elle suivra son compagnon d'armes, Zack, au Ghana avant de gagner le Liberia pour se frayer son propre chemin. Elle épousera un ministre appartenant à une tribu puissante et à l'avenir prometteur qui lui fera une cour en règle et lui donnera trois enfants. Mais elle semble étrangère à sa propre vie et ne se sent vraiment aimante qu'avec des chimpanzés, pour lesquels elle érigera un sanctuaire.
la guerre civile fait rage dans ce pays naissant, crée de toutes pièces par les Etats-Unis qui veulent se débarasser des noirs, désireux d'accéder à de plus hautes fonctions après l'abolition de l'esclavage. Les prétendants au pouvoir s'entretuent (et la population avec) avec une violence inouie, laissant le pays exsangue. Pour Hannah, la fuite est la seule issue possible.
De retour sur le sol natal, elle achètera une ferme dans les Aridonracks. C'est à ce moment de sa vie, à l'âge de 59 ans, qu'elle entreprend ce récit et que débute le roman.
Un ultime voyage au Liberia s'impose alors à elle, pour tenter de retrouver ses fils, pris dans l'engrenage de la violence et devenus enfants-soldats.
Récit palpitant, proche du documentaire parfois et dont le personnage principal, une femme , plongée dans la tourmente de la guerre, est en quête du sens à donner à sa vie.
Mon avis est partagé sur ce livre que j'ai lu avec une certaine avidité pour l'intrigue et l'aspect documentaire (tant sur les Etats-Unis que sur le Liberia) sans toutefois être totalement emballée par ce personnage déroutant, complexe mais sans chaleur.

dimanche 7 septembre 2008

Le livre de ma mère d'Albert Cohen

Dans Le livre de ma mère, Albert Cohen rend un hommage très émouvant à sa mère morte.
Le récit se compose de courts chapitres qui balisent son deuil. Il s'attache à faire renaître l'image, les gestes, la voix de sa mère défunte en la présentant comme une femme simple, isolée, une déclassée, qui a consacré sa vie à son fils, son amour. Et cet amour maternel supplante celui des femmes qui ont traversé la vie de l'auteur car il est infini, sans jugement, absolu. Dans le ton légèrement condescendant qu'il emploie en l'appelant "ma naïve", perce l'accent d'une profonde complicité.
Ce récit est aussi l'occasion de découvrir un portrait en creux de Cohen qui arrive de Corfou et débarque à Marseille, avec ses parents, où il vit chichement mais toujours tendrement aimé par sa mère. Après son éducation chez les soeurs catholiques, puis le lycée, il partira à Genève pour ses études universitaires et gravira les échelons de la société.
Ce livre, il l'écrit pour louer les vertus de sa mère mais aussi la venger de ceux qui l'ont exclue de leur cercle, à commencer par lui même, pour se repentir de son ingratitude ou de sa négligence et alerter les fils peu attentionnés sur la bonté incommensurable des mères.
Un histoire d'amour attendrissante... A lire absolument !

samedi 30 août 2008

Dans les veines ce fleuve d'argent de Dario Franceschini


Des souvenirs d'enfance, dans le village de Cantarana, hantent Primo Bottardi, installé en ville, dont la vie va basculer, tragiquement, lorsqu'il veut retrouver un camarade de classe pour lui donner la réponse à une question posée une quarantaine d'années auparavant. Son périple est émaillé de résurgences du passé, de récits légendaires racontés par les gens qu'il croise sur sa route, pour la plupart, liés au fleuve, fascinant et dangereux...
Une très belle écriture pour ce roman teinté de réalisme magique, de puissantes descriptions du fleuve mais une fin déconcertante...

Pars vite et reviens tard de Fred Vargas

Une épidémie de peste est annoncée par un crieur public, Joss, ancien marin breton reconverti suite à un accident de bateau, tandis que des chiffres quatre apparaissent mystérieusement sur la porte de certains immeubles parisiens. Le commissaire Adamsberg flotte entre deux eaux avant de dénouer la situation, à la surprise générale, en arrêtant celui qu'on attendait le moins.
Humour et cynisme pimentent ce roman agréable à lire. Les personnages bien campés nous entraînent dans une histoire pleine de rebondissements.

Montedidio d'Erri De Luca

Le récit poétique d'Erri De Luca se compose de chapitres très courts qui racontent la vie d'un jeune napolitain dans le quartier populaire de Montedidio à Naples. Pauvreté, violence, âpreté du langage côtoient amour, solidarité et rêve.
Un jeune garçon reçoit en cadeau de son père, un boomerang qu'il garde précieusement sur lui, s'entraînant chaque jour au lancer, sans le lâcher. Il découvre l'amour avec Marie, la fille des voisins, qui renonce à se laisser toucher par le propriétaire en guise de loyer pour consacrer son amour au jeune narrateur. Le parcours du ce dernier croise celui de Rafaniellol, le cordonnier ambulant du quartier qui répare les chaussures des pauvres gratuitement tout en espérant rejoindre un jour Jérusalem, grâce aux ailes qu'il porte dans sa bosse...
La vie à Montedidio est dure mais, transcendée par l'imagination et l'amour, elle est portée par un très beau récit.

Le boulevard périphérique d'Henry Bauchau

Deux récits s'entremêlent dans ce roman: celui du narrateur, médecin, qui assiste sa belle fille atteinte d'un cancer incurable. Des souvenirs de son entrevue bouleversante avec le tortionnaire nazi, responsable de la mort de son meilleur ami quelques dizaines d'années auparavant ressurgissent lors de ses visites et l'amènent à réfléchir sur ses rapports avec ses proches et sur lui-même.
Prix du livre Inter 2008, ce roman n'a pas suscité l'enthousiasme attendu. J'ai trouvé un peu long et sans grand intérêt le point de vue de l'auteur, confronté conjointement au mal et à la mort.

Train de nuit pour Lisbonne de Pascal Mercier

Raimund Gregorius est un professeur émérite de langues anciennes (latin, grec et hébreu) dans un lycée de Berne en Suisse, dont la vie est méticuleusement réglée. Jusqu'à sa rencontre avec une jeune femme à qui il porte secours et dont les mots prononcés dans sa langue maternelle, le portugais, produiront un charme puissant sur son esprit. Jusqu'à sa rencontre avec un livre d'Amadeu de Prado, poète et médecin portugais, qui l'entraînera à Lisbonne par le train, quittant ses fonctions, son appartement et ses élèves du jour au lendemain. Là-bas, il tente de reconstituer la vie de ce poète qui l'intrigue tant, découvre son engagement politique contre la dictature de Salazar, rencontre des membres de sa famille, des personnes ayant croisé le chemin du médecin. Il partage au plus près sa vie tout en cherchant à comprendre la sienne.
Les premiers chapitres sont vraiment captivants puis par la suite, les détails de la vie du médecin, ses écrits, encombrent le récit qui se termine par une fin ouverte laissant en suspens le sort de Gregorius, à ma grande déception.

dimanche 22 juin 2008

Le naufrageur de Francesco De Filippo

Ce choix de lecture est né d'une rencontre impromptue et heureuse avec l'auteur, Francesco De Filippo, lors du marathon des mots à Toulouse.
Je savais qu'il s'agissait d'un livre dur et les premières pages l'ont vite confirmé, dur mais bouleversant, tendre aussi parfois, dans un monde saturé de violence.
Le naufrageur raconte l'histoire de Pjota, enfant de la misère albanaise, qui, au prix de cruelles épreuves devient le bras droit de Razy, chef de la mafia, trafiquant de drogue, de prostituées et d'immigrés. Mais Pjota, à la différence de ses confrères, nourrit une passion pour les livres, entassés dans une grotte, qui l'érigent au rang de "Génie d'Albanie". Son boulot consiste à couler des zodiaques bourrés de cocaïne et à faire passer des immigrés clandestins en Italie. Décidé à rompre avec cette vie qui n'a plus rien à lui offrir, il veut tenter sa chance dans le pays voisin. "Le roi d'Italie" qu'il rêve de devenir va rapidement déchanter. Après une courte période de "gloire" (toute relative) lors de laquelle il travaille pour un journal, comme garçon de course, il espère faire reconnaître ses talents et sa culture quand survient le drame. Commence alors une lente descente aux Enfers.
Dans une écriture poétique et sensible, nourrie d'images frappantes, l'auteur rend un bel hommage aux laissés pour compte: immigrés clandestins, prostituées, trafiquants en tout genre, à la fois victimes et bourreaux dans une Italie à paillettes qui fascine et assassine ces indésirables, livrés à un lent processus d'auto-destruction. Un roman que je recommande chaudement !

L'usage de la photo par Marc Marie et Annie Ernaux

Ecrite en duo avec son ami Marc Marie, L'usage de la photo est une œuvre inclassable, née du projet déconcertant qui consiste à croiser commentaires et récits à partir de photos de vêtements éparpillés, prises avant de faire l'amour. Après avoir sélectionné quelques clichés, les deux amants rédigent leurs commentaires dans l'ignorance de ce que chacun écrit. Le résultat est très réussi ! Les récits se croisent faisant émerger des bribes de vie, des fragments d'une rencontre passionnelle entre Marc Marie, après une rupture difficile et Annie Ernaux, atteinte d'un cancer du sein. Eros triomphe sur Thanatos. Cette histoire d'amour, entre photos et récits est très touchante !

vendredi 6 juin 2008

La Place d'Annie Ernaux

Dans La place, Annie Ernaux raconte la vie de son père et analyse les rapports qu'elle a entretenus avec lui. Il était ouvrier puis commerçant à Yvetot en Normandie et tenait, avec sa mère une épicerie-café. C'était un homme simple, toujours gai, et peu instruit. Sa fille a choisi la voie de l'enseignement et des Lettres.
Ce témoignage émouvant d'une femme qui cherche à comprendre l'écart creusé par le langage, le milieu social fréquenté, le niveau de vie, entre elle et son père m'a beaucoup touchée. Dans une écriture dépouillée, sobre, loin de tout romanesque, Annie Ernaux raconte une histoire intime qui rejoint l'universel.

double-jeux de Sophie Calle

Sophie Calle est une artiste inclassable et pour le moins surprenante ! Je l'ai découverte lors de l'exposition: "Prenez soin de vous" à la BNF à Paris et retrouvée dans double-jeux, une série de sept livres de poches édités chez Actes Sud.
En préambule, elle explique comment Paul Auster s'est inspiré d'éléments de sa propre vie pour créer le personnage de Maria dans son roman Léviathan, et comment par la suite, elle a voulu "devenir" un personnage créé de toutes pièces par le même auteur.
Entreprise complètement folle qu'elle décline dans sept livres, qui mettent en regard textes et photos au service de rituels saugrenus !
Dans le premier, "De l'obéïssance", elle a photographié les repas qu'elle a composés en respectant un code de couleurs: orange le lundi, rouge le mardi, blanc le mercredi, etc. jusqu'au dimanche.
Dans le second, "Le rituel d'anniversaire", elle a photographié les cadeaux d'anniversaire qu'elle a reçus tous les ans en invitant le nombre d'invités qui correspondait à son âge.
Dans le troisième, "Les panoplies", elle a pris en photo les vêtements qu'elle a envoyés tous les ans à un homme qu'elle trouvait beau et qu'elle avait choisi d'habiller.
Dans le quatrième, " A suivre...", elle a décidé de suivre un homme inconnu à Venise où elle l'a pris en photo à son insu, puis s'est faite prendre elle-même en filature, à Paris, par un détective privé qu'elle avait engagé.
Dans le cinquième, " L'hôtel", elle s'est faite passer pour une femme de chambre à Venise et s'est introduite dans les chambres des hôtes, a pris en photo leur chambre, photos qu'elle a commentées.
Dans le sixième, "Le carnet d'adresses", elle a trouvé un carnet d'adresse avec le nom du propriétaire mais avant de le lui renvoyer, elle l'a photocopié et a rencontré tous ses amis pour qu'ils dressent un portrait de lui qu'elle a publié dans un quotidien.
Dans le dernier, "Gotham Handboock" c'est Paul Auster qui a envoyé des "Instructions personnelles pour Sophie Calle afin d'améliorer la vie à New York"
Une oeuvre surprenante, parfois un peu dérangeante lorsqu'elle s'introduit à leur insu dans la vie privée d'inconnus qui se prêtent plus ou moins bien au jeu, une fois découvert... Elle bouscule les conventions en transformant l'espace public ou privé en terrain de jeu laissant place à son imagination délirante. Une artiste à découvrir !

Les Années d'Annie Ernaux

Récit rétrospectif des années qui ont suivi la fin de la seconde guerre mondiale à aujourd'hui, le dernier roman d'Annie Ernaux mêle intimement l'Histoire collective à son cheminement personnel, balisé par quelques clichés photographiques qui marquent le passage du temps tout en témoignant de sa propre évolution, ponctué par les scènes rituelles de repas de famille lors desquels les sujets de conversation reflètent l'esprit d'une époque.
Dans ce récit autobiographique d'un nouveau genre, elle abandonne le "je", trop "plein", trop "lourd" peut-être pour le pronom "elle" qui introduit une légère distance entre l'auteur et sa propre vie sans qu'elle paraisse toutefois désincarnée, et le "nous" qui englobe tous les gens de sa génération.
Sans en faire partie, j'ai pris un immense plaisir à la lecture de ce roman, plaisir augmenté par la perspective de ma future rencontre avec Annie, lors du Marathon des mots à Toulouse.
Impossible de résumer l'ensemble des événements sur une aussi longue période mais je retiendrai l'ossature du roman: les photos commentées et les repas de famille, les choix d'écriture: narration et énumérations, l'intimité partagée avec l'auteur et les bouleversements historiques: mai 68, 1981, la génération "zapping".
Grâce à l'énumération parfois incongrue d'une série de détails, d'objets, de marques qui ancrent le récit dans une certaine époque, elle donne à voir une société dans toute sa diversité. L'observation est suivie d'une analyse sociale et psychologique très intéressante qui apporte un éclairage nouveau sur une époque que je connais assez peu, bien qu'elle soit récente. D'autres événements, plus proches, ravivent les souvenirs de l'enfance.
Par ailleurs, en le feuilletant en librairie, je n'aurais pas cru me laisser absorber avec tant de force par ce récit que j'avais imaginé un peu "froid" et "distant" à la lecture de quelques lignes. Mais l'approche subjective de l'Histoire l'a rendu très attachant, jamais ennuyeux ou pesant; le temps glisse imperceptiblement marquant les consciences, et elle restitue ces Années avec une grande finesse, une écriture nouvelle et une lucidité admirable.

jeudi 22 mai 2008

Pérégrinations d'une paria de Flora Tristan


Flora Tristan, féministe du XIXème s. a entrepris d'écrire le récit de son exil au Pérou (1833-1834). Après avoir quitté son mari, elle a été mise au ban de la société française, privée de droits civils après l'abolition du divorce en 1815. Née d'un père péruvien de haut rang, elle décide de rejoindre sa famille dans ce pays nouvellement indépendant, en espérant y trouver quelques secours affectifs et financiers.
Débute alors un voyage en mer de cent trente jours à bord d'un brick ( voilier à deux mâts) qui rejoint Valparaiso en franchissant le cap Horn. Elle fait d'abord escale aux îles du Cap vert où elle découvre le négoce de la traite négrière pourtant abolie depuis 1815 mais qui se prolonge illicitement (jusqu'en 1860). Au Chili, ensuite, elle change de bateau pour atteindre la côte péruvienne à Islay, d'où elle part à dos de mulet pour Arequipa; la traversée du désert de 40 heures sous un soleil de plomb lui fait entrevoir la mort peu avant son arrivée. Elle retrouve son oncle, avare au dernier degré, qui lui refuse la part d'héritage de son père à la mort de sa grand mère au prétexte qu'elle est fille naturelle. Son dépit est profond mais elle conserve tout de même de l'amitié pour le frère de son père qui l'accueille chaleureusement. Elle raconte alors les mœurs des Aréquipéniens, en fait, des colons, car les Indiens en sont encore réduits à l'esclavage malgré l'indépendance proclamée en 1821. Puis survient la guerre entre militaires qui se déchirent pour accéder au pouvoir, son départ pour Lima et son retour en France, un an plus tard.
L'intérêt de ce récit repose sur la situation exceptionnelle de Flora Tristan à l'époque: c'est une femme certes prisonnière du lien qui l'unit à son mari, lien qu'elle doit cacher en permanence et qui la fait beaucoup souffrir, mais libre moralement et physiquement. La force d'action qui lui permet d'entreprendre ce voyage, seule, est tout à fait extraordinaire pour une femme à cette époque. Son combat pour les droits de la femme, ses prises de position contre l'esclavage, les conseils qu'elle prodigue aux hommes de pouvoir la rendent originale et résolument moderne. Par ailleurs, ma curiosité a été piquée par la description des couvents d'Arequipa, en particulier celui de Santa Catalina que j'ai visité et qui m'a beaucoup plu; Grâce à son sens aigu de l'observation, j'ai pu me représenter la vie des nonnes aux mœurs plutôt légères, dans ces lieux, déserts, que j'avais traversés, transportée par leur vaste étendue, la couleur vive des murs, le relatif confort des cellules, les cloîtres paisibles, bordés d'orangers... La partie historique m'a également bien renseignée sur l'accession à l'Indépendance du Pérou et le rapport des colons aux "indigènes".
Elle dresse un portrait sans complaisance des Aréquipiens: flegmatiques, passifs, incultes... Elle est à peine un peu moins dure avec les Liméniens mais dans l'ensemble, elle fustige l'aristocratie coloniale et son livre sera brûlé sur la place publique à Aréquipa dès sa parution...
En revanche, j'attendais un récit plus objectif, plus distancié, or elle se met en scène et s'apitoie sur son sort, s'apesantit sur ses relations familiales, ses rencontres... J'avoue que certains passages m'ont paru très longs malgré les anecdotes qui colorent ce récit. Il faut être passionné par le Pérou, à mon avis, pour entreprendre cette lecture !

jeudi 20 mars 2008

Tels des astres éteints de Léonora Miano


Le dernier roman de Léonora Miano explore plus profondément que les précédents les rapports des continents africain et européen à travers les destins croisés de trois personnages à la même couleur de peau: Schrapnel et Amok sont africains tandis qu'Amandla, métissée, est antillaise. Tous trois vivent dans une grande ville européenne, jamais nommée, comme tous les lieux dans les romans de l'auteur dont le rôle est surtout symbolique. Dans ce récit, à la différence des deux derniers, l'intrigue se déplace vers l'Occident, où les protagonistes ont "choisi" de vivre dans l'attente d'une autre vie qu'il leur reste à construire.

Amandla a émigré vers la métropole "babylonienne" qu'elle souhaite ardemment quitter pour retourner à la source du peuple kémite (= noir) dont elle est issue, sans jamais mettre son projet à exécution, jusqu'à sa rencontre avec Amok qui va lui faire prendre conscience de sa velléité et changer peut être son destin.

Schrapnel, lui, a souhaité connaître la puissance de ce "peuple du nord" qui a mis fin à la vie communautaire qu'il menait au coeur de la forêt équatoriale, organisée autour d'un arbre tutélaire, Shabaka, garant des valeurs de la tribu, veillant sur les vivants et les morts. Il rêve depuis de forger une communauté noire qui permettra à son peuple de retrouver sa dignité, mais son penchant pour les belles jeunes filles européennes compromet ses chances de réussite...

Son ami de lycée, Amok, issu d'un milieu bourgeois, a été envoyé en Europe pour y poursuivre ses études, ce qui lui a permis de fuir l'atavisme de son patronyme, entaché de relations très étroites avec les colons, responsables des désordres du "continent". Il a également fui la violence conjugale d'un père qui battait sa mère sans que cette dernière n'ait jamais acceptée d'être défendue. Des trois, c'est le plus lucide mais aussi le plus à la dérive, lesté par le poids de son passé qui condamne toutes les issues, jusqu'au sursaut final...

Ces "astres éteints" brillent d'un feu intérieur qui a du mal à s'imposer à l'extérieur; leur trajectoire peine à aboutir... Leur quête d'identité côtoie la souffrance, le manque de confiance, l'indifférence et se heurte au mur qui sépare encore ces deux cultures.

Comment assumer leur coexistence dans l'intimité mais aussi dans leur rapport à autrui, qu'il soit blanc ou noir? Cette question ne trouve pas vraiment de réponse mais Léonora Miano emploie ses grandes qualités d'analyse du rapport Afrique/Occident pour éclairer le lecteur sur leur complexité. Entre psychanalyse et "réflexion culturelle", le roman cède du terrain à l'essai grâce aux longs passages explicatifs sur les origines et la culture des protagonistes. L'écriture est moins aboutie que dans son dernier roman; le choix des phrases courtes, souvent non verbales se justifie par la volonté de frapper les esprits. La réflexion, plus approfondie, donne un éclairage précieux sur les rapports passionnels entre ces deux cultures.

jeudi 6 mars 2008

Chroniques d'une société annoncée


Le collectif "Qui fait la France ?", composé de jeunes auteurs issus pour la plupart de l'immigration, ont publié un recueil de nouvelles pour raconter le quotidien de jeunes des banlieues. Dans leur manifeste, en introduction, ils s'engagent "pour une littérature au miroir, réaliste et démocratique, réfléchissant la société et ses imaginaires dans leur entier". Ils abordent en effet les thèmes de l'exclusion, du racisme, de la violence policière, des relations inter-générationnelles et leurs difficultés...
Comme dans tout recueil, certaines nouvelles m'ont plus touchée que d'autres (celles de Faïza Guène et de Kamir Amellal, plus originales dans leur construction et leur thème, celle de Khalid El Bahji pour sa description imagée de la cité) mais l'univers étouffant de la banlieue, la répétition des mêmes problèmes, m'ont ôté l'envie de lire la totalité...

mercredi 27 février 2008

Entre elle et moi de Sénussia Benyoucef



Au départ, une histoire de famille plutôt tranquille: un père immigré, sa femme et ses quatre filles. Puis, un meurtre, celui de Hadja, la sœur de l'auteur, âgée de 26 ans, meurtre perpétré par un tueur en série du même acabit que Patrice Alègre et cependant classé par la justice comme un "suicide". Commence alors une lutte, longue de 18 ans, pour faire éclater la vérité au grand jour: reconnaître et juger coupable l'assassin de ce crime odieux, dans l'attente d'un autre procès: celui des fonctionnaires malhonnêtes qui ont entretenu le mensonge sur cette affaire.
Cette lutte constitue l'objet même du récit qui tient à la fois du pamphlet et de la confidence.
Pamphlet contre un système judiciaire qui maquille la vérité, s'enferre dans l'erreur et musèle les voix des victimes, ne leur laissant d'autre choix que celui de mener elles-mêmes l'enquête et de se battre envers et contre tous pour se faire entendre.
Confidences d'une femme extraordinaire, qui, au prix d'une lutte sans merci, livrée à "la Bête" qui la dévore de l'intérieur et déterminée à franchir les obstacles qui se dressent tout autour d'elle, nous livre un récit bouleversant dont l'écriture est à l'image de sa souffrance d'écorché-vive, à la fois ironique et cynique, mue par la colère qui gronde et la douleur qui tue.

La Porte bleue d' André Brink


Ce court récit d'André Brink raconte comment la vie d'un homme bascule quand, en ouvrant la porte bleue de son cottage, en Afrique du Sud, où il a installé son atelier de peinture, Sarah, une femme noire et deux enfants qu'il n'a jamais connus, l'embrassent et le reconnaissent comme mari et père... Sans éveiller leurs soupçons, il endosse ce rôle et explore les recoins de sa mémoire pour comprendre comment il en est arrivé là. Il tente par la suite, de retrouver sa "première" femme, Lydia, mais l'appartement dans lequel ils habitaient jusque là, est inaccessible tout d'abord, puis disparait... Alors qu'il s'apprête à accepter cette nouvelle vie, la porte bleue change à nouveau de couleur...
J'ai beaucoup aimé ce récit étrange, qui nous plonge dans un univers kafkaïen où les personnages et les lieux se métamorphosent à l'infini provoquant chez le personnage principal, désarroi et excitation, à mi-chemin entre entre souvenirs et fantasmes.

dimanche 17 février 2008

Chagrin d'école de Daniel Pennac


Confessions d'un professeur de français, doublé du cancre qu'il était plus jeune, rassemblées en chapitres qui ne trompent pourtant pas sur la forme fragmentaire de cet ouvrage.
On se délecte des bons mots, du sens de la formule et de l'inventivité de Pennac qui prend à rebrousse poils la didactique enseignée aux jeunes professeurs formés à l'IUFM. Pas de jargon littéraire ni de contraintes de programme mais une pratique immodérée de la grammaire au servive du sens, de la récitation , des dictées orchestrées par les élèves dans le but de leur donner confiance et estime de soi: autant de propositions intéressantes dont je pourrais m'inspirer dans la pratique de mon métier. Rester en éveil, soucieuse de prendre en compte la problématique du cancre, très bien expliquée ici, tels sont les enseignements que je tirerais de cet essai.

La route de Cormac Mac Carthy

C'est l'histoire d'un père et de son fils qui tentent de survivre dans un monde frappé par le chaos. Derniers survivants d'une terrible catastrophe dont on ne connait ni l'origine ni l'étendue, ils marchent sur la route en direction du Sud avec l'espoir, bien mince, de trouver un peu de chaleur et d'humanité. Car le pays qu'il traverse en est totalement dépourvu. Les rares survivants, rongés par la faim et le désespoir sont devenus fous. Ils font partie des "méchants", réduits au cannibalisme, qui contraignent l'homme et son fils à la fuite perpétuelle. Le soleil ne perce jamais l'épaisse couche de cendres qui recouvre la terre, suite aux incendies ravageurs, et oblige les protagonistes à porter des masques. Dans le froid glacial, dans la neige ou sous la pluie, l'homme et son fils progressent lentement en poussant un caddie, dans cet univers apocalyptique. L'homme, qui a connu l'ancien monde, protège du mieux qu'il peut son jeune fils qui n'a rien connu d'autre que cette lutte incessante pour survivre, et qui, malgré tout, incarne la bonté et l'espoir. L'amour qui les unit constitue leur seul moteur, leur seule force de propulsion.

Prix Pulitzer 2007, encensé par la critique littéraire, La Route est un roman complètement déroutant. La richesse de la langue, la force des dialogues pourtant très sobres, la puissance d'évocation et l'intensité dramatique qu'aucun bouleversement n'alimente, sont les marques d'une oeuvre majeure qui charrie le lecteur, absorbé dans cet univers de fin du monde, comme le limon dans le torrent.

Anna Karénine de Tolstoï


Roman russe de Tolstoï qui raconte les destins croisés d'Anna Karénine et de Lévine, personnages principaux autour desquels gravitent l'aristocratie russe de la fin du XIXème s.
Anna, femme du diplomate Alexandre Alexandrovitch Karénine, tombe amoureuse de Vronski, un officier aux moeurs légères qui a éconduit la charmante Kitty pour vouer une passion sans bornes à l'héroïne. Leur liaison secrète éclatera au grand jour. Le mari finira par répudier sa femme sans pour autant divorcer, ce qui placera cette dernière au ban de la société. Maîtresse de Vronski, elle ne deviendra jamais sa femme et demeurera à l'écart de toute vie mondaine, jusqu'au suicide final.

De son côté, Lévine, aristocrate campagnard, repoussé par Kitty dont il était follement amoureux, se lancera dans la rédaction d'un essai sur l'économie rurale: la vie des paysans, leur intéressement au travail en vue d'une optimisation des rendements... Puis il regagnera l'amour de Kitty. Leur couple, heureux, apparaît en contre point à celui d'Anna et Vronski, libres de s'aimer mais contraints à l'isolement forcé pour Anna qui alimentera ses tourments et sa jalousie.

A la fin, Lévine, double de Tolstoï, s'interroge sur le sens de son existence et le rapport de l'homme à Dieu. Il connaîtra l'ultime révélation dans le fait d'être bon envers les autres.

Ces intrigues amoureuses sont tissées sur la trame de la société russe: vie mondaine, vie rurale, place et rôle de la femme, élections, conflits de pouvoir. Tolstoï nous livre un tableau de l'aristocratie russe de la fin du XIXème siècle qui ancre profondément le roman dans la réalité. Mais il ne le fait pas à la manière des écrivains réalistes français, comme l'explique André Maurois dans sa préface, avec force descriptions (Balzac) et subjectivité (Zola) ; lui s'efface complètement, sans juger cette femme "immorale" aux yeux de la société mais que ses doutes, sa soif d'amour, ses souffrances morales liées à un sentiment de culpabilité et de jalousie rendent complexe et passionnante.

Le roman se laisse dévorer car tout est action. Pas de longues descriptions ici; les personnages définissent le milieu dans lequel ils évoluent par leurs actions et leurs pensées. Le rythme est mené tambour battant; pas le temps de s'ennuyer. Des scènes comme celles de la chasse ou de la vie aux champs par exemple qui auraient pu me rebuter, m'ont au contraire beaucoup plu grâce au procédé de focalisation interne qui relaie la description et donne vie à ces passages. Et puis cette marque russe, malgré l'influence occidentale de l'auteur et des personnages s'exprimant parfois en français et en anglais, confère une saveur toute particulière au roman.

mardi 13 novembre 2007

Une promesse de Sorj Chalandon

C'est une belle histoire d'amitié scellée autour d'une promesse, faite par sept copains qui consiste à rendre visite chaque jour à un couple décédé, à ouvrir les fenêtres de la maison, à lire un livre à voix haute, à faire le ménage afin de les maintenir au seuil de la mort et de ne pas les oublier.
L'histoire est belle certes, mais le livre ne m'a pas vraiment convaincu; il côtoie le fantastique avec la légende de la lampe tempête qui garde prisonnière l'âme des défunts, en hésitant sur le seuil... J'y ai trouvé certaines longueurs... Mais le sujet du deuil m'a quand même touché.

samedi 3 novembre 2007

Les yeux jaunes des crocodiles de Katherine Pancol


C'est l'histoire de la renaissance d'une femme, Jo, mère de deux filles: Zoé, la cadette, spontanée et chaleureuse, Hortense, l'aînée, superbe et hautaine, après le départ de son mari, Antoine, cadre supérieur au chômage, qui la quitte pour refaire sa vie avec Mylène, esthéticienne, et élever des crocodiles en Afrique, pour le compte des Chinois.

Jo, la quarantaine, un peu ronde, négligée, maladroite, possède une piètre opinion d'elle même, au contraire de sa soeur, Iris, belle et oiseuse, entretenue par un mari richissime et très amoureux, enfin, au début...

Jo, donc, retrousse ses manches et multiplie les travaux de traduction, de publication au CNRS (c'est une spécialiste du XIIème siècle) et se lance dans l'écriture d'un roman, pour faire face à la situation. Peu à peu, elle trouvera l'assurance, l'estime de soi et la liberté qui lui manquaient pour devenir une femme désirée et comblée.

D'autres personnages traversent le roman: Shirley, la voisine et meilleure amie de Jo, au secret troublant, Marcel Grobz, entrepreneur richissime, marié au "Cure-Dents"(c'est le surnom de sa femme, mère de Jo), épris de sa secrétaire, Josiane, dont il veut un enfant et Iris Dupin, la soeur de Jo, prête à tout pour être sur le devant de la scène, et notamment à monter un scandaleux mensonge...

Roman à succès (prix Maison de la Presse en 2006), Les yeux jaunes des crocodiles se dévore goulûment tant les personnages sont attachants: drôles et émouvants, celui de Jo en particulier, dont l'éveil salutaire m'a ému. La variété des niveaux de langue, des situations sociales, des personnages et le rythme enlevé du roman, rendent le lecteur très rapidement avide de poursuivre sa lecture...

jeudi 25 octobre 2007

Quartiers lointains de Jirô Taniguchi


Hiroshi est un hommes d'affaires de 48 ans, marié et père de famille, vivant à Tôkyô. De retour d'une réunion à Kyôto, il se trompe de train et prend celui qui le ramène dans son village natal où il n'a pas mis les pieds depuis plusieurs années. Il se rend sur la tombe de sa mère, décédée il y a 20 ans de cela, sur laquelle il s'endort mystérieusement et se réveille dans la peau de l'adolescent de 14 ans qu'il était alors... Il n'arrive pas à croire à ce retour dans le passé pourtant bien réel. Ainsi, il va revivre quelques mois de sa jeunesse, jusqu'au jour de la disparition inexpliquée de son père qu'il cherchera à élucider. Parviendra-t-il à modifier cet événements qui provoquera la mort de sa mère ? ce changement est-il seulement souhaitable ? comment retrouvera-t-il sa vie d'adulte ?

Cet album a été consacré par le prix du meilleur scénario au festival d'Angoulême en 2003 et on comprend pourquoi ! Le récit, à la fois fantastique et initiatique, est bouleversant et le graphisme en noir et blanc très raffiné.

Dans le café de la jeunesse perdue de Patrick Modiano


Dans un café parisien du VIème, une clientèle d'habitués trouvent refuge dans la convivialité régnante. Ils empruntent la voix du narrateur pour dire comment une jeune femme, rebaptisée "Louki", malgré sa discrétion, aimanta leur regard. Certains chercheront à comprendre et à saisir cette étrange femme fuyante et pourtant si attachante.Vient son tour à elle de raconter sa vie, une vie très solitaire, marquée par l'absence de la mère, ses fugues nocturnes, son errance dans Paris et sa fuite perpétuelle grâce à laquelle elle éprouve la plus grande ivresse.

Mon premier Modiano et sûrement pas le dernier ! Ces vies si fragiles m'ont beaucoup touchée ainsi que le rapport des personnages aux lieux parisiens qui érige la ville et ses quartiers au rang de personnage, avec ses traits de caractère, qu'on redoute ou bien auquels on s'attache...

dimanche 21 octobre 2007

Pilules bleues de Frédérik Peeters


Le second album autobiographique de la série prêtée par Fabien et Marielle, traite de la relation amoureuse entre Frédérik et Cati, une jeune mère atteinte du virus HIV, tout comme son fils de 4 ans. Leur histoire met en évidence le courage de cette jeune mère ainsi que les interrogations du dessinateur face à la maladie et à la mort.

Une histoire très touchante, réaliste et grave mais jamais pathétique, souvent drôle, joliment illustrée .

Blankets - Manteau de neige de Craig Thomson


Un album autobiographique qui narre l'enfance et l'adolescence de Craig, souffre-douleur de ses camarades de classe, imprégné de religion catholique qu'il ne cesse d'interroger pour mieux comprendre et chercher un sens à sa vie. Lors d'une classe de neige organisée par le comité catholique de la région, il tombe amoureux de Rayna avec laquelle il vivra une passion éphémère durant l'hiver rigoureux du Michigan, avant de revenir au dessin et entrer dans le monde des adultes.

Les six cent vignettes en noir et blanc entraînent le lecteur dans l'univers ouaté d'un état du grand nord américain. Beaux dessins, mais l'omniprésence de la culture catholique américaine, représentée par des extrémistes dévoyés selon moi, est un peu pesante.

La nuit des enfants rois de Bernard Lenteric


Jimbo, un grand jeune homme au regard très doux, un peu cynique, avec un reste d'enfance dans l'attitude, est un informaticien génial. Il se voit confier la surveillance du programme Killian, chargé de répérer les enfants surdoués, sur l'ensemble du territoire américain. Fozzy, l'ordinateur-confident de Jimbo signale l'existence de sept petits génies âgés de six ans. Pendant de longues années, Jimbo veillera en secret sur eux et décidera de les réunir à l'occasion d'une grande manifestation. Mais le jour où les Sept se rencontreront, ils connaîtront tour à tour le bonheur puis l'horreur absolue. Dès ce moment, leur intelligence se mettra au service du Mal et Jimbo devra choisir son camp pour sauver ses proches.

Un thriller palpitant, très bien mené !

mercredi 17 octobre 2007

Océan mer d'Alessandro Barrico


Roman poétique qui raconte la relation particulière qu'entretient chacun des sept personnages, un peu farfelus, avec l'"océan mer", à la fois porteur de drame et donneur de vie.
Un bel éloge au mystère insondable de la mer, à sa violence fatale comme à sa vigueur revitalisante, dans un langage poétique et un certain suspense.

vendredi 12 octobre 2007

Les hirondelles de Kaboul de Yasmina Khadra

Récit tragique de deux couples, pris dans la tourmente de la domination des Talibans, dans une ville dévastée, rongée par la misère, accablée de chaleur et qui lentement se meurt... La tyrannie de ces extrémistes réduit à néant l'espoir le plus fou de chacun des personnages du roman, réduits à l'errance dans Kaboul dénaturée. Guettés par la folie meurtrière, ils n'échapperont pas à leur destin tragique.
Un récit accablant et désespéré, qui n'a cependant pas suscité en moi d'intenses émotions.

mardi 9 octobre 2007

Contours du jour qui vient de Léonora Miano


Sans nul doute, le coup de coeur de cette année, pour lequel je vais écrire l'article qui suit, plusieurs mois après sa lecture.


Léonora Miano, écrivaine camerounaise de langue française, m'avait déjà séduite avec L'intérieur de la nuit, son premier roman qui dressait le portrait d'une Afrique en proie aux vieux démons du cannibalisme et entraînait le lecteur à assister à une scène vraiment terrible.


Dans son second roman au très beau titre, elle donne la parole à une petite fille dont la mère cherche à se débarasser, pensant que sa celle-ci incarne le Mal. La narrratrice parvient à lui échapper et ne cessera, tout au long du livre, de parcourir le pays dans l'espoir de renouer des liens plus sereins.


La sagesse de cette petite fille, le portrait d'un pays africain (jamais nommé) en pleine déroute, livré à la tyrannie de sectes qui organisent un traffic de femmes-esclaves et dont la population jette les armes, abandonne ses enfants, verse dans la sorcellerie... Et cette langue, si belle, si éthérée en font un roman d'une grande sensibilité, que je vous recommande vivement !

L'élégance du hérisson de Muriel Barbery


Comment échapper au prix des libraires 2007 actuellement dans toutes les bouches et sur toutes les tables de nuit ? comment expliqué un tel succès ?


Dans les premiers moments, les personnages peuvent paraître un peu froids, le style sentencieux, nourri par de nombreuses références littéraires et les élucubrations philosophiques du personnage de la concierge (difficilement accessibles pour moi du moins), sa langue soutenue, semblent destiner le roman à une certaine élite. Mais c'est sans compter sur l'humour décapant des deux narratrices qui dressent, chacune à leur manière, le portrait sans concession de la haute société, à la fois hypocrite, superficielle, étroite d'esprit et sans coeur. Sans compter non plus sur l'attachement inéluctable du lecteur aux destins si particuliers des deux narratrices que tout semblent opposer, et pourtant... L'une est, à 54 ans, une concierge pauvre, qui cache, sous des manières grossières, un extrême raffinement, l'autre est une fillette de 12 ans, riche, introvertie, hyper sensible et très intelligente, aux idées suicidaires. Toutes deux habitent le même immeuble, rue Grenelle à Paris et ne cessent de maugréer contre un milieu qu'elles refusent en bloc jusqu'à l'arrivée d'un certain M.Ozu...


Ne résistez pas plus longtemps au charme de "l'élégance du hérisson"...

Lignes de faille de Nancy Huston


Histoire d'une filiation sur quatre générations: Sol (2004), Randall (1982), Sadie (1962 ), Kristina (1944-1945), menée avec humour et suspense par une romancière qui ne lasse pas de me plaire.

Dans Lignes de faille, elle donne la parole à quatre enfants d'une même lignée, âgés de six ans. Récit polyphonique donc où on retrouve comme dans dans ses précédents romans, des passages qui se font écho d'un enfant à l'autre et invitent le lecteur à reconstruire la trame d'une histoire familiale qui débute par une tragédie, que l'on ne découvre qu'à la fin puisque l'ordre chronologique est inversé.

Entre le rire et les larmes, ce roman, habilement construit, évoque tour à tour la toute puissance de l'enfant-roi des générations d'aujourd'hui et un aspect méconnu du nazisme: "les fontaines de vie".

Un livre bouleversant !

Broderies de Marjane Satrapi


Une B.D pas comme les autres pour ceux qui ne connaissent pas encore l'oeuvre saisissante de l'écrivaine iranienne, Marjane Satrapi, Persépolis, portée à l'écran avec brio.


Dans Broderies, le lecteur plonge au coeur de conversations féminines à l'heure du Samovar, à Téhéran, conversations qui ne manquent pas de piment ! Il y est question d'hommes bien sûr mais aussi de relations conjugales qui, d'orient en occident, deviennent particulièrement épineuses.


Même si le récit n'est pas aussi émouvant que dans Persépolis, on rit beaucoup avec ses femmes de caractère qui se lâchent complètement à l'abri du diktat des islamistes et du regard des hommes.

L'invention de Morel de Bioy Casares


Borges crie au génie dans la Préface mais je suis loin de partager son avis; Pour moi, le narrateur met beaucoup plus de temps à découvrir l'illusion dont il est victime que le lecteur qui l'a compris bien avant, sans cependant détenir les clés de l'explication finale, très surprenante par ailleurs.

Un homme traqué par la justice atteint une île déserte où lui apparaît cependant d'étranges personnes, répétant les mêmes scènes à l'infini. Il s'agit de l'oeuvre "géniale" d'un savant fou, le docteur Morel (clin d'oeil au célèbre docteur Moreau et ses sordides expériences) qui a filmé les derniers instants de ses compagnons, voués à la mort pour donner vie à leur image pour l'éternité.

samedi 1 septembre 2007

Fahrenheit 451 de Ray Bradbury


"Fahrenheit 451:température à laquelle le papier s'enflamme et se consume" peut-on lire dans l'épigraphe de ce très beau roman de science fiction qui m'a littéralement enflammée ! J'y ai retrouvé l'atmosphère des films de Terry Gilliams où la société évolue dans un monde complètement déshumanisé, sans chaleur, mise à part celle du feu qui dévore les livres pour empêcher l'homme de penser.

Dans Fahrenheit 451, Montag, un pompier pyromane, obéit aux ordres de son capitaine et, plus au haut dans la hiérarchie, à une organisation politique qui cherche à éradiquer toute pensée critique, toute forme de savoir, jusqu'au jour où le héros se rebelle; du vol de quelques livres au meurtre de son chef, il met en branle toute une organisation et est contraint très rapidement à fuir la métropole, traqué comme une bête sauvage par les autorités qui se servent des médias comme d'une arme impitoyable, transformant chaque habitant en justicier potentiel...

La description de cet univers hyper moderne, dans lequel l'homme vit dans le plus grand des conforts, mais passe son temps à avaler des feuilletons projetés sur les quatre murs d'une pièce, sans jamais communiquer et encore moins réfléchir sur soi, de la violence des rapports humains, de l'ivresse provoquée par la vitesse des transports, de la guerre larvée entre les grandes puissances, de la coupure de l'homme avec ses racines naturelles, rappelle étrangement les dérives de notre société. Mais la rencontre avec Clarisse (passages éminemment poétiques) sort Montag de sa torpeur et l'incite à agir jusqu'à la rencontre avec Faber, un ancien professeur qui va le guider dans sa quête de savoir, puis celle des "hommes-livres" avec lesquels il va s'unir pour reconstruire la cité anéantie par la guerre...

Attention de ne pas se brûler les yeux à la lecture !

mardi 28 août 2007

La Confrérie des Eveillés de Jacques Attali


L'intrigue policière de ce roman historique se situe au XII ème siècle en Espagne et au Maroc, au moment où la dynastie des Almohades s'est imposée au monde musulman et a siégé à Marrakesh puis Cordoue.


Moshé ben Maymun, grand penseur juif qu'on appelle aujourd'hui Maïmonide, se met en quête d'un livre inédit d'Aristote dont les révélations devraient changer le cours du monde. Il rencontre Ibn Rush, plus connu sous le nom d'Averoes, célèbre philosophe et médecin musulman, avec lequel il va échanger librement sur la religion.


En toile de fond, l'harmonie qui régnait entre les trois religions monothéistes à Cordoue: le judaïsme, le christianisme et l'islam, se trouve bouleversée par l'arrivée d'extrémistes musulmans qui prennent pour cible les juifs. Ces derniers partent en exil, chassées de la plupart des villes d'Europe et du pourtour méditerranéen.


La toile de fond historique ne manque pas d'intérêt mais l'exposé est un peu trop didactique à mon goût et l'intrigue policière ne m'a pas tenu en haleine. Par ailleurs, j'ai trouvé un peu fastidieux les longs dialogues sur des questions religieuses qui ne me passionnent pas vraiment.